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Fantoche 1 : un corps disparaît ! | Fictives
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Fantoche 1 : un corps disparaît !

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Fantoche : un corps disparaît !
La journée a été bonne, pensa t-il en s’étirant et en se redressant au-dessus de son lit. Il bailla profondément puis regarda tout autour de lui d’un air ensommeillé. Il se demandait comment les vivants pouvaient croire une seule seconde que les fantômes erraient éternellement parmi eux sans jamais dormir. Le sommeil était irremplaçable ! Mais maintenant que la nuit commençait, il était temps de s’activer.
Etre un fantôme avait de nombreux avantages comme de ne pas prendre de petit déjeuner, de ne pas faire sa toilette ou encore de ne pas s’habiller. Mais Fantoche avait pris l’habitude en se levant d’effectuer des exercices pour garder la forme. Pour estimer sa vitesse, il se plaça dans un coin de la pièce délabrée et fonça brusquement à l’autre bout puis revint de la même manière à son point de départ. Il répéta ces allers et retours avec une rapidité de survol impressionnante. Une fois satisfait de sa performance, il passa à l’exercice suivant qui était de tester sa capacité à traverser tout élément matériel. Il regarda le mur gris et moisi de sa chambre et se lança lestement à travers. Il revint quelques secondes plus tard puis repartit. La forme blanche du fantôme apparaissait et disparaissait comme si deux personnes invisibles jouaient au ping pong en se servant du mur comme d’un filet. Il s’arrêta enfin et se plaça devant un gros coffre mangé par les mites. Fantoche pencha sa tête en avant tandis que son corps sans jambes se gonflait comme un ballon ; deux mains sortirent de cette baudruche et s’allongèrent pour se saisir du coffre. Il y eut un temps d’arrêt puis il souleva prestement le coffre. Content de lui, Fantoche le tint audessus de sa tête comme pour recevoir des acclamations puis le reposa tranquillement. Il se dégonfla alors en s’envolant dans tous les sens. Le dernier exercice qui lui restait à faire était le plus amusant et le plus facile. Il se frotta les mains puis ouvrit de grands yeux ronds en levant les bras comme si on le menaçait d’une arme. Une fente apparut soudain dans son visage en dessous de ses yeux et laissa sortir un son effrayant : « Hou hou hooooouuuuuuu » puis il sauta brusquement sur son lit, passa sous ses draps et se retrouva couvert de la tête aux… au bas. Il se déplaça ainsi vêtu en glissant une fois vers la gauche, une fois vers la droite tout en continuant à hululer énergiquement.
Louisia K.
Un son semblable parvint à Fantoche une dizaine de minutes plus tard alors qu’il avait fini ses exercices. Il provenait de l’étage ; Spirit venait de se réveiller. Fantoche décida d’aller lui rendre visite avant de partir travailler. Il traversa la porte verrouillée de sa chambre et survola l’escalier vétuste. Cette maison devient de plus en plus invivable, pensa t-il alors qu’il soufflait sur la poussière de la rampe. Pour ne pas déranger son ami, Fantoche passa sa tête dans le mur de l’ancienne chambre de bonne. Spirit avait fini ses vocalises et était en train d’empiler habillement des livres de façon à ce qu’ils puissent tomber au moindre mouvement. Fantoche haussa les épaules dans le mur et décida de le laisser tranquille. Il était temps d’aller faire peur à quelques vivants ! Il emprunta le couloir de l’étage tout en regardant les feuilles des arbres entrer dans la maison par les fenêtres aux vitres brisées. Soudain, il s’immobilisa : une lumière suivie d’une forme humaine venait de passer devant la fenêtre de la demeure voisine. « Hé hé, voilà quelqu’un qui aurait dû aller se coucher plus tôt » dit Fantoche à voix haute. Il franchit le rebord de la fenêtre et s’envola jusqu’à celle d’en face qu’il traversa facilement. Le couloir dans lequel il atterrit était pourvu d’une moquette qui étouffait le bruit des pas de l’individu qui s’éloignait devant lui. Fantoche se mit alors à le suivre prudemment. Il voulait lui flanquer une frousse mémorable !
La personne portait une robe de chambre rose avec des impressions de fleurs jaunes et un bonnet de nuit à dentelle. Il s’agissait d’une femme, cela allait être encore plus amusant ; Fantoche imaginait déjà le cri de terreur qu’elle allait pousser. Il allait prendre sa forme habituelle d’affreux fantôme lorsque la femme se retourna soudainement et l’éclaira de sa lampe de poche. Il fut si surpris qu’il voulut s’échapper rapidement mais il vit qu’il n’y avait personne dans la robe de chambre. Tout d’abord, il soupçonna une imposture d’une de ses connaissances fantomales mais une voix féminine lui retira cette suspicion. « Ne vous enfuyez pas, Monsieur ! N’ayez pas peur ! dit-elle. Fantoche ne bougea pas, tant son incrédulité était grande. Lui, avoir peur ? Elle était bien bonne celle-là ! Il se ressaisit et se mit à parler à ce qui semblait être, il faut bien l’avouer, une femme invisible en robe de chambre : Je n’ai pas peur, Madame ! Mais dites moi où vous êtes, je ne vous vois pas. Oh Monsieur ! Que je suis heureuse de vous entendre ! Cela fait longtemps que j’essaie de trouver quelqu’un pour m’aider …
Louisia K.
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Ne vous affolez pas ! Vous avez l’air d’être dans un sacré état, la coupa t-il, que se passe t-il ?
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J’ai peur, dit-elle.
Si Fantoche avait eu un costume, il aurait tenu les revers de sa veste avec fierté et se serait mis à se pavaner dans le couloir. Elle avait peur de lui ! Elle devait être paralysée car elle ne bougeait plus. Il n’avait encore jamais produit cet effet aussi facilement. J’ai peur car on m’a volé mon corps, continua t-elle d’une voix plaintive, pouvez-vous m’aider à le retrouver ? Pour une fois, Fantoche fut blessé dans son estime. Néanmoins, il ravala son orgueil et décida de s’intéresser à l’affaire de plus près. Sa curiosité venait de se réveiller. Monsieur ? demanda la voix. Attendez une minute. J’ai besoin de m’éclaircir les idées, dit-il pensivement en avançant de long en large. Vous êtes quoi au juste ? reprit-il en fixant le bonnet vide. Un fantôme transparent ? Un mort ? Une vivante un peu bizarre ? Je suis vivante mais on m’a pris mon corps. Comment se fait-il alors que vous ne soyez pas avec votre corps ? Je ne comprends pas moi-même ! Hier soir, j’étais tranquillement assise dans mon canapé à regarder la télévision lorsque soudain est apparue une forme grise très étrange. J’ai sursauté et j’ai voulu m’enfuir mais alors que j’allais atteindre la porte du salon, j’ai entendu un bruit d’aspiration. Continuant sur ma lancée, je me suis retrouvée dans le couloir mais je me suis rendue compte que je n’avais plus de corps ! Je suis donc revenue précipitamment dans le salon mais il n’y avait plus rien. Depuis ce jour, j’erre dans la maison en quête d’une quelconque aide. Fantoche se gratta le haut de la tête. Cette forme était-elle comme moi ? demanda t-il. Beaucoup plus grande, difforme et d’une couleur différente, répondit la femme. C’est vrai que maintenant que je vous regarde de plus près, je trouve que vous avez un air de famille. Fantoche comprit que cette forme était un fantôme. Fallait-il porter plainte à la police fantomique ? se demanda t-il, ou résoudre cette enquête lui-même ? Son instinct de détective refit surface et il décida de prendre en charge l’affaire. Je vais retrouver votre corps, Madame, car avec Fantoche tout est fastoche ! dit-il avec un grand sourire. Mais pour cela, il va falloir m’aider.
Louisia K.
Il sortit d’une poche invisible une petite tablette blanche et un stylet puis regarda la robe de chambre toujours immobile devant lui. Qu’avez-vous exactement entendu ? Tout d’abord, un bruit de moteur comme si l’on venait de mettre en route une machine puis il y a eu un grand courant d’air dans le salon. Tout s’envolait ! On aurait dit qu’un ventilateur avait été allumé. Fantoche notait toutes ses paroles sur sa tablette. Il y avait aussi ces cris stridents que poussait la forme et qui m’ont fait très peur. Ça c’est plutôt normal, dit Fantoche dans un demi-sourire. Bon, je voudrais maintenant que vous me montriez le salon. La robe de chambre reprit alors vie et se retourna pour s’avancer jusqu’au bout du couloir. Elle pivota ensuite sur sa gauche et entra dans une grande salle plongée dans le noir. Seul le faisceau lumineux de la lampe de poche qu’elle tenait toujours éclairait faiblement l’entrée. Fantoche marmonna quelque chose comme « Il n’y a pas d’électricité dans cette maison ? » avant de trouver un interrupteur et de l’actionner.
Le salon était une pièce rectangulaire peinte tout en jaune. Un épais tapis se trouvait au centre entre un canapé renversé et un téléviseur cassé, des feuilles de magazines et de journaux étaient dispersés dans toute la pièce et des bibelots gisaient en morceau sur le sol. Pour Fantoche, il n’y avait aucun doute : une tornade était passée ici. Le désordre lui rappelait un peu sa chambre. Il se mit à examiner tout ce qu’il voyait, il passa au-dessus de la télévision et s’approcha d’un endroit où tout semblait converger. C’est ici qu’il se tenait n’est-ce pas ? demanda t-il à la femme restée dans l’entrée. Oui, en effet, comment avez-vous deviné ? dit-elle surprise et pleine d’espoir. Hmm, marmonna Fantoche en dessinant un plan du salon et la position éventuelle du voleur. Vous voyez ces papiers, dit-il en indiquant les coupures de journaux, leur disposition montre que le ravisseur a tout aspiré ici même. Le bonnet secoua la tête en signe de satisfaction. Maintenant que j’ai tout ce qu’il faut, reprit Fantoche en rangeant sa tablette dans sa poche, je vais vous laisser. Je sais où glaner d’autres informations pour retrouver votre corps. Je ne peux rien faire d’autre qu’attendre, dit la femme désolée, je vous souhaite bonne chance et merci pour votre aide.
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Laissant la femme derrière lui, Fantoche traversa la façade de la maison et s’envola jusqu’à l’appartement de Spirit. Il ne fut pas surpris de le trouver planant sur le dos au-dessus de son lit sifflotant une petite musique qui avait pris, à son arrivée, une note aiguë. « Tu m’as fait peur imbécile, dit Spirit aussitôt. Et moi qui me disais que les fantômes n’avaient pas peur ! Tu me déçois ! dit Fantoche amusé. Tu aurais pu frapper au mur avant d’entrer. C’était très urgent.
Spirit regarda Fantoche en coin, il n’aimait pas les urgences car elles n’amenaient que des catastrophes. Il attendit de connaître la raison de son empressement. J’ai besoin de savoir si tu as entendu parler de vols de corps dans les greniers de la ville. Spirit, qui était très fainéant, passait le plus clair de son temps dans les greniers à bavarder de tout et de rien avec les fantômes de passage. Il servait donc d’indicateurs pour tout le monde. Ne prenant jamais parti pour quelqu’un, il avait très rarement des problèmes. Des vols de corps ? demanda t-il surpris. La voisine d’en face – une vivante – a perdu son corps et se balade maintenant comme invisible dans sa maison. Je suspecte un trafic de la part de certains fantômes. Que peut faire un fantôme du corps d’un vivant ? Je ne sais pas encore, répondit Fantoche. Allez, creuse toi la tête et dis moi s’il y a quelque chose qui s’apparenterait à un trafic de ce genre. Tandis que Spirit réfléchissait, Fantoche sortit ses notes et se concentra dessus. La question de Spirit sur l’utilité des corps l’intriguait. Un corps sans esprit est inutile donc il ne s’agit pas de trafic de vivants. Il se mit à imaginer toutes les raisons, même les plus terribles, qui expliqueraient l’enlèvement d’un corps mais à chaque fois il trouvait un élément qui les invalidait : les fantômes ne mangent pas, rares sont les fantômes qui collectionnent les vivants dans une vitrine. De plus, un fantôme seul est incapable de porter un corps aussi lourd. Fantoche s’arrêta sur cette dernière pensée, il était maintenant sûr que le corps avait été aspiré par une machine plus petite et qu’il avait ainsi été transporté. Il interrogea alors Spirit qui avait cessé de réfléchir depuis un certain temps et qui l’observait. Peut-être as-tu entendu parlé d’un trafic ou d’une vente de machines ? Quel genre de machine ? Des machines qui aspirent.
Louisia K.
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Non. Par contre, il y a Yvan qui recrute des nettoyeurs de maison hantée et qui se vante sans arrêt de ses aspirateurs.
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Ça m’intéresse ! bondit Fantoche. Qui est cet Yvan et où puis-je le trouver ? Va au grenier de la rue pilori, répondit Spirit, il recrute toujours »
Une fois l’adresse donnée, Fantoche revint dans sa chambre, se glissa rapidement sous un drap gris et sale puis alla s’observer dans un grand miroir fissuré ; des trous lui permettaient de voir son aspect hideux et méconnaissable. Satisfait de son déguisement, il s’en alla au grenier de la rue pilori où il espérait trouver le voleur.
Le grenier se trouvait en haut d’une maison à quatre étages, coincée entre deux immeubles modernes. Elle était abandonnée depuis des années et les fantômes, qui se l’étaient appropriée pour leurs trafics, en était la cause. Fantoche arriva devant la bâtisse et monta à la verticale tel un ascenseur. Il s’arrêta au niveau d’un vasistas à demi éclairé qui servait d’entrée au grenier. Deux fantômes, chacun recouvert d’un drap rouge marqué « Videur », lui demandèrent ce qu’il venait faire. Si Spirit l’avait accompagné, il n’y aurait pas eu d’explications à donner mais celui-ci avait préféré se rendre dans un autre grenier, certainement par peur des problèmes que Fantoche allait provoquer. « Je suis venu trouver du travail », dit-il en espérant qu’Yvan serait là pour recruter. La raison de sa visite satisfit les deux fantômes qui le laissèrent traverser le vantail vitré. Il se retrouva dans une grande salle au plancher de bois survolé par des fantômes occupés à leurs affaires. Les poutres de la charpente donnaient à la pièce un aspect chaleureux mais l’ambiance n’en était pas réchauffée pour autant ; les fantômes parlaient entre eux à voix basse autour de planches de bois carrés suspendues au-dessus du sol par des ficelles et qui servaient de tables. Le grenier du pilori n’était pas un grenier où l’on s’amusait. Fantoche s’installa dans un coin sombre près d’une table vide et observa les visiteurs. Pourvu que cet Yvan corresponde à la description de la femme invisible, pensa t-il en éliminant tous les fantômes trop blancs, pas assez grands ou trop beaux. Un petit fantôme, gros comme un boulet de canon, s’approcha de sa table et lui demanda d’une voix fluette. « Bonne nuit l’ami ! C’est la première fois que je te vois ici, tu cherches quelque chose ? Bonne nuit, répondit Fantoche sur ses gardes, c’est Spirit qui m’a recommandé ce grenier comme un endroit où je pourrais trouver du travail. Ah ! Ce bon vieux Spirit ! Il n’est pas venu ce soir ? dit le petit fantôme en balayant la salle du regard. Louisia K.
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Il est allé au grenier de la grande araignée, répondit Fantoche. Ah bon, dit l’autre déçu. Sinon toi, tu cherches quel genre de boulot ? Je suis fort et j’aimerais manier des objets, répondit-il en montrant ses longs bras.
Le petit fantôme devint pensif ; il sortit un carnet qu’il feuilleta et proposa à son interlocuteur diverses offres d’emploi. Il y a un poste de couturier chez Draps douillets, tu sais coudre ? Je ne suis pas très habile, dit Fantoche. Fondeur de chaînes à la fonderie de la justice ? J’ai peur du feu. Tu exagères ! dit le fantôme agacé tout en tournant une nouvelle page. Fantôme de ménage peut-être ? En quoi cela consiste ? demanda Fantoche voyant là un possible lien avec la fonction de nettoyeur dont parlait Spirit. C’est classique comme travail : tu fais le ménage dans les greniers encore non hantés. Qui recrute ? Yvan la pieuvre, répondit le fantôme de plus en plus impatient. Est-ce que je t’inscris ? Il devrait bientôt passer, tu pourrais commencer à travailler dès cette nuit ! C’est une occasion à ne pas manquer … J’accepte ! dit enfin Fantoche.
Le petit fantôme sourit à cette annonce car il savait qu’il allait recevoir des jetons pour cette nouvelle embauche. Il nota le nom que lui donna Fantoche. Reste ici et quand Yvan passera, je te le présenterai » dit-il avant d’aller s’intéresser à un autre fantôme solitaire. L’intense curiosité qu’éprouvait Fantoche le rendait téméraire, il se sentait prêt à tout. Il se considérait déjà comme un agent secret bientôt infiltré dans le camp adverse. Son quotidien était tellement ennuyant qu’il avait trouvé en cette affaire un moyen de rendre son existence un peu plus palpitante.
Le temps passant, Fantoche se demanda comment il allait s’y prendre pour démasquer le voleur de corps. Peut-être que celui-ci fera une erreur et qu’il pourra le prendre en flagrant délit. Qui sait ? La chance est parfois de mon côté, pensa t-il. Lorsqu’un fantôme grisâtre, longiforme et immense s’approcha de lui, Fantoche sut qu’il s’agissait d’Yvan. Le petit fantôme de tout à l’heure n’avait pas pris la peine de venir le
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présenter, il avait juste désigné sa table. Yvan traversa la main de Fantoche pour lui souhaiter la bonne nuit. « Boule de neige vient de me dire que tu voulais travailler pour moi ? demanda t-il. En effet, j’aimerais devenir fantôme de ménage, répondit Fantoche. Tu tombes bien, j’ai besoin de main d’œuvre en ce moment. Je t’embauche, ce sera 2 jetons par nuit, ça te va ? Oui », répondit Fantoche sans faire attention au paiement dérisoire qu’on lui proposait.
Yvan lui donna rendez-vous à 3h dans l’usine abandonnée des ferrailleurs puis s’en alla voir un autre candidat. Fantoche regarda la vieille pendule du grenier : il avait une bonne heure devant lui.
La nuit était très noire mais l’on pouvait voir de temps en temps des formes blanches passer d’une maison à une autre, surgir d’une fenêtre ou s’envoler dans les rues de la ville. Fantoche arriva à l’heure dite dans l’usine désaffectée ; il n’était pas le seul, six autres fantômes attendaient déjà sur place. Il leur fit signe de la main en guise de bonne nuit et attendit en silence. Yvan surgit quelques minutes plus tard d’un coin sombre du bâtiment, accompagné d’un autre fantôme qu’il présenta comme le sous-chef. Il balaya rapidement du regard la nouvelle équipe de nettoyage puis ordonna à chacun d’aller prendre un aspirateur de poche dans un énorme casier. L’engin était petit et très léger ; le sous-chef, dénommé Tasmagore, expliqua son fonctionnement en montrant la brosse, le tube, la poignée qu’il fallait tenir et la boîte où se trouvait le bouton de mise en marche. Pour éviter que les vivants entendent les bruits d’aspiration, chaque brosse était pourvue d’une mousse épaisse. Il n’y eut aucune explication quant à l’énergie qui permettait aux machines de fonctionner. Une fois équipée, la petite troupe suivit Yvan dans la nuit ; ils arrivèrent rapidement à un grenier empoussiéré par des mois d’inoccupation. Chacun fut affecté à un endroit précis et se mit au travail. Tout en passant l’aspirateur, Fantoche observa discrètement ce qui se passait dans la pièce : quelques minutes avaient suffit pour que l’agitation gagne le grenier. Plusieurs fantômes passaient l’aspirateur sur les murs et au plafond en s’envolant dans tous les sens ; deux autres regardaient leurs brosses et rigolaient en essayant de résister à l’aspiration. Un autre enfin trifouillait l’intérieur de la boîte en quête du bouton dont il avait déjà oublié la position. Curieusement, le chef et le sous-chef ne semblaient pas se soucier de cette pagaille, au contraire, ils en profitèrent pour quitter tous les deux la pièce en douce. Fantoche, qui surveillait Yvan du coin de l’oeil, ne manqua pas leur fuite et décida de les suivre. Il arrêta sa Louisia K.
machine et, l’emportant avec lui, sortit de la pièce sur leur traînée. Ils étaient descendus jusqu’au rez-de-chaussée et chuchotaient près de la porte de la cuisine où un vivant était en train de se préparer une tasse de thé. S’étant mis d’accord entre eux, ils retirèrent la mousse de leur aspirateur et se positionnèrent de chaque côté de la porte prêt à l’action. Fantoche n’attendit pas que le signal d’attaque soit donné ; laissant son aspirateur en haut de l’escalier, il s’envola à toute vitesse dans leur direction et bloqua l’entrée de la cuisine comme s’il était possible d’arrêter deux assaillants lourdement armés. Le vivant et les fantômes sursautèrent ; le premier laissa tomber sa tasse, qui se brisa sur le carrelage, et se mit à hurler de terreur tandis que les autres, qui avaient reculé d’un bond, regardèrent Fantoche avec surprise. Comprenant qu’ils venaient d’être démasqués, ils allumèrent immédiatement leurs aspirateurs ; le bruit des engins couvrit les cris du vivant. Fantoche se jeta en arrière pour entrer dans la cuisine, se saisit de deux bols qui séchaient encore sur l’égouttoir et les lança en direction des fantômes. Par chance, l’un d’eux vint se coincer dans la brosse de l’aspirateur de Tasmagore. Fantoche tenta alors de se ruer dans le couloir mais l’aspirateur d’Yvan l’attirait déjà, il réussit néanmoins à s’accrocher au chambranle de la porte. Son corps flottait en arrière, ses bras étaient tendus et ses mains se cramponnaient avec obstination au mur mais il tenait bon. Les secondes s’écoulant, il risqua un regard en arrière, surpris de ne pas être encore dans le sac à poussière d’Yvan ; celui-ci, malgré sa taille impressionnante, avait des difficultés à maîtriser sa machine. Il avait dû appuyer trop fort sur le bouton de mise en marche car il tenait à grand-peine le tube de l’aspirateur et essayait de le maintenir dans la direction de Fantoche. Le vivant, qui était tombé par terre, avait cessé de crier et regardait la scène devant lui. Il déplaça avec lenteur l’une de ses mains vers les débris de la tasse et se saisit de l’un d’eux. Dans un effort surhumain, il se redressa et lança avec un cri hystérique le morceau de porcelaine en direction d’Yvan qui en fut simplement traversé. Il devint livide lorsque Yvan se tourna vers lui. Cela fut profitable à Fantoche qui, libéré de l’aspiration, se lança sur Tasmagore, qui s’acharnait désespérément sur le bol encore coincé dans sa brosse, et se rua dans l’escalier pour récupérer son engin. Il eut à peine le temps d’allumer la machine que déjà on le happait vers le bas de l’escalier, il réussit à contrer l’aspiration de Tasmagore en arrivant face à lui. Voyant que son acolyte s’occupait de Fantoche, Yvan s’approcha du vivant et commença à aspirer son corps. L’un en face de l’autre, Fantoche et Tasmagore flottaient dans les airs, tenant chacun le tube d’aspiration pointé vers l’autre. Soudain, la machine de Tasmagore, déjà endommagée
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par le bol, toussa bruyamment avant de s’arrêter simplement ; il fut aussitôt aspiré dans la machine de Fantoche sans avoir pu réagir. Concentré sur sa tâche, Yvan n’avait pas suivi la confrontation ; il tenait son aspirateur à bout de bras et aspirait le corps du vivant. Fantoche ne voyait pas la division du corps et de l’esprit et il n’attendit pas de la voir, il lança sa machine sur celle d’Yvan qui alla se fracasser contre un placard de la cuisine. Yvan poussa un cri si féroce qu’il en fit trembler les murs ; il se tourna vers Fantoche, totalement désarmé. Néanmoins, son regard alla au-delà, vers l’entrée de la pièce : les fantômes de l’équipe de nettoyage avaient été attirés par les bruits de la bataille et se trouvaient désormais dans l’encadrement de la porte. Six visages regardaient, tels des badauds, ce spectacle inattendu. Yvan, se sentant menacé et en infériorité, s’enfuit en traversant un des murs de la cuisine et disparut. Fantoche se jeta à la suite du voleur mais il ne put le retrouver. Fatigué, il revint dans la cuisine où les nettoyeurs discutaient bruyamment près du vivant. « Il est mort ? demandait l’un. Il est mort de trouille ! lui répondait un autre. Il est tout vert ! disait un troisième. Il suffit ! intervint Fantoche en s’approchant du corps et en l’examinant. Il est seulement inconscient. Il va revenir à lui alors il faut remettre tout en ordre ».
Fantoche, muni de son aspirateur, alla trouver la police fantômique qui se chargea de récupérer Tasmagore dans le sac à poussière et de l’interroger. Fantoche apprît peu de temps après où ils avaient entreposé les corps c’est pourquoi il décida d’aller chercher sa voisine. Celle-ci déambulait toujours dans son appartement et fut extrêmement heureuse à l’annonce des résultats de l’enquête de Fantoche.
Trois fantômes portant un torchon bleu sur la tête étaient déjà sur les lieux lorsque Fantoche et sa voisine arrivèrent. Ils comptaient le nombre de corps entreposé et tentaient de faire un dessin de chacun d’eux pour une identification future. Fantoche laissa la femme chercher son corps et s’approcha du capitaine de police. « A votre avis, que pouvaient-ils faire des corps ? demanda t-il. - Eh bien, Tasmagore a avoué qu’Yvan avait trouvé un moyen de fusionner un corps de vivant avec l’esprit d’un fantôme. Du coup, ils ont fait appel à un fantôgénieur pour créer les aspirateurs de poche et ils se sont mis en quête de corps. Ils les revendaient ensuite à des fantômes en mal d’humanité, répondit le capitaine Louisia K.
- Savez-vous si cette « fusion » a fonctionné ? - Il y aurait au moins deux corps de vivants possédés par des fantômes dans la ville », avoua le policier contrarié. Un cri de joie se fit entendre dans la cave ; La femme venait de trouver son corps dans un coin sombre sur un tas de carton. Fantoche, suivi du capitaine, s’envola dans sa direction et l’exhorta à regagner son corps. L’esprit de la femme se fondit alors dans son corps qui reprit vie ; Elle était sublime malgré quelques tâches sombres sur ses bras qui montraient que le corps était resté quelques heures dans cet endroit. Elle tenait parfaitement dans la robe de chambre et le bonnet entourait désormais un visage rond et souriant. « Je ne sais pas comment vous remercier, Messieurs, dit-elle. Pour ma part, je ne voulais qu’améliorer les relations de voisinage, dit Fantoche modeste. J’ai une dette envers vous, lui dit-elle, je ne l’oublierai jamais. Vous savez où me trouver si vous avez besoin d’aide » Après avoir tenté de serrer les mains des fantômes, elle leur fit ses adieux et s’en retourna chez elle.
Fantoche eut le droit de garder son aspirateur mais il dut signer un papier qui lui signifiait l’interdiction d’en faire l’usage à des fins malfaisantes. Heureux de ramener chez lui un engin original, il décida simplement de faire le ménage dans sa chambre.
Louisia K.

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